bestiaire ceramique

Le Bestiaire des Trente Glorieuses (1945-1973). 
Exposition sur le bestiaire en céramique

Entre ciel, terre et mer. 


Le Musée méditerranéen de Saint-Quentin-la-Poterie abrite en son arche les animaux de l’après-guerre. Au cri du coq, le visiteur pourrait entendre glousser la volaille de la basse-cour, souffler les bêtes à cornes, plonger des grenouilles sur des poissons imaginaires.

Comme un retour à l’acte originel de la création, jouant avec le feu et la terre, les céramistes des Trente Glorieuses ont renoué avec le Bestiaire. Hymne à la vie et à la liberté, l’animal n’a cessé d’avoir le vent en poupe. Au lendemain de la guerre, les artisans potiers ont apprivoisé des animaux-totems. 
Certains ont inventé des décors épurés presque primitifs. D’autres ont libéré la forme des objets utilitaires avec une touche poétique non dénuée d’humour, parfois kitsch, parfois folklorique. Et les derniers ont sculpté leur propre faune en brisant les codes habituels et les volumes. Guidette Carbonell a imaginé un paradis terrestre coloré, peuplé d’animaux fabuleux ( lion, chat, hibou…). 
Les couleurs de la méditerranée se sont imposées naturellement dans la céramique utilitaire et sculptée du sud de la France. 
Au contraire, dans le centre (à la Borne et en Puisaye), les animaux restent imprégnés de la teinte sombre du terroir et des traditions ancestrales de la cuisson du grès au feu de bois. Dans les traces de l’art populaire de Paul Beyer, les Lerat ont sculpté une imagerie animalière moderne. Inquiétants sont les chevaux de l’Apocalypse d’André Rozay, envoûtantes les sculptures de Vassif Ivanoff et amusants les monstres et les grotesques de Jean Linard
Parmi les thématiques récurrentes, l’oiseau est largement représenté, loin devant son prédateur le chat. Oiseau de proie, migrateur, domestique ou nocturne, il incarne le lien entre la terre et le ciel, la paix et l’espoir avec la colombe. Icônes des années 50, la poule et le coq rivalisent avec la chouette emblématique de Picasso
Guidette Carbonell  La Piscine Roubaix
Les Ruelland, Jacques Innocenti, Robert Picault ... ont peint l’oiseau sur les objets utilitaires. Joël Baudouin et Jacques Blin le stylisent en Shadok. Georges Jouve, Fernand Lacaf, Mado Jolain, Jean Austruy ... ont réalisé des vases zoomorphes prêts à l’envol. Avec Jacques Pouchain et Raphaël Giarrusso, le volatile se pare de fantaisie, François Raty lui souffle des airs précolombiens. Avec Mithé Espelt, il rayonne d’or craquelé.
Après les plumes, retour à la terre avec une autre bête plébiscitée de manière cyclique : le taureau. Puissant, fort et fertile, l’animal a toujours suscité l’intérêt de l’homme depuis l’Egypte antique en dieu Apis, aux mythes grecs en Minotaure jusqu’au royaume de l’Olympe, où Zeus use de son physique pour séduire les jeunes filles. Mais c’est la fascination de Picasso pour cette bête qui va influencer la production de nombreux céramistes (vases ornés de tête des Cloutier, tauromachie d’Olivier Pettit, coupes de Roger Capron, sculptures mythologiques de Jean Derval et Jean Marais …). 

Si Dame Nature est une source inépuisable d’inspiration, l’actualité des années 50 à 70 apporte de nouvelles idées de bestiaire. 

Avec la médiatisation des sites préhistoriques et les rebondissements de la restauration des peintures de Lascaux, l’art rupestre est mis à l’honneur : la faune sauvage (mammouth, bouquetin, cheval, auroch, rhinocéros, ours …) reprend du poil de la bête. Le graphisme de René Maurel traverse les frontières et fait référence à l’art africain primitif, et Michel Anasse a même remonté le temps jusqu’aux dinosaures.
Olivier Pettit ceramique
A cette même époque, la conquête de l’espace amène le regard vers le ciel, sur les constellations zodiacales : bélier, taureau, gémeaux, cancer, lion, scorpion, sagittaire, capricorne, poissons deviennent les tendances décoratives des années 60-70. 
Enfin, un dernier plongeon dans l’océan où la biodiversité abonde : crustacés, poissons, hippocampes …, autant d’espèces représentées dans les pièces de Pol Chambost, des Argonautes, de Georges Gouzy, etc.
Mais la plus irrésistible et attirante des créatures marines est probablement la sirène. Cet être hybride, à tête humaine (symbole de l’esprit) et au corps d’animal, rappelle à l’homme qu’il doit combattre son animalité pour s’élever spirituellement et trouver la voie du salut.
Au-delà de sa modernité esthétique et joyeuse, l’art animalier des Trente Glorieuses traduit le besoin de liberté de la société d’après-guerre en pleine reconstruction. En contrepied de l’industrialisation et du progrès qui ignorent la faune qui l’entoure, l’animal a été réintroduit dans l’habitat urbain au travers des objets du quotidien (art de la table, miroir, lampe, sculpture, …). Mais ce bestiaire décoratif est-il le reflet d’un réel désir du retour à la terre, à la nature, annonciateur du mouvement de Mai 68 ?

Aujourd’hui, saurait-t-il nous alerter et nous sensibiliser sur la fragilité du vivant et la nécessité de sauvegarder le monde animal ? 
Texte © Christine Lavenu ( 08/03/2023 pour le catalogue de l'exposition 'Et l'Arche de Noé fit escale à Saint Quentin la Poterie', au musée de la poterie méditerranéenne.)

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