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Eugène Fidler (1910-1990)


Peintre, graveur, collagiste, aquarelliste et céramiste moldavien, naturalisé français en 1927.

Originaire de Russie (Moldavie), après des études primaires et secondaires en Suisse puis  en Allemagne, Eugène Fidler quittera Nice pour étudier à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris, dans la section architecture. 

Attiré par la peinture, dès 1933, il fréquente l'académie Julian puis l'atelier la Grande Chaumière et débute une carrière de peintre.

Refuge en Provence sous l'occupation nazie.
Contraints par la guerre et l'occupation allemande, avec Edith Gilher son épouse depuis 1940, le couple fuit en bicyclette la Côte d'Azur pour trouver asile dans le village de Roussillon, situé entre le  Lubéron et les Monts de Vaucluse. Il se lie d'amitié avec l'écrivain Samuel Beckett et le peintre franco-polonais Henri Hayden, tous deux réfugiés dans le Sud pour fuir le régime nazi. 
Eugène peint alors des paysages sous le faux nom de Fournier et il crée avec son épouse des bijoux en céramique (des colliers, des boucles d'oreilles et des boutons). 

En 1944, installé à Mougins (Alpes Maritimes), les Fidler ouvrent un atelier de céramique. En 1947, c'est la naissance de leur fille Catherine. Eugène travaille alors dans l'entreprise de son beau-père pour subvenir aux besoins de sa famille. Durant son temps libre, il s'adonne au dessin. Mais l'artiste a soif de liberté et ce mode de vie trop sédentaire ne lui correspond pas.
Eugène Fidler, dessin sur la maternité, 1974

En route vers la cité des potiers : l'âge d'Or de Vallauris .
Après son divorce en 1950, Eugène regagne Paris pendant deux années (1951-1952) avant de migrer à Vallauris. 

Dans la célèbre cité aux cent potiers, il côtoie à l'atelier le Tryptique, Francine Del Pierre, Albert Diato et Gilbert Portanier, qui l'initient à la cuisson de la terre chamottée puis émaillée. Il crée son propre atelier de céramique. Il se lie d'amitié avec les artistes vallauriens comme François Raty et Pablo Picasso chez Madoura. 

Son ami, le norvégien Erik Hesselberg, marin de l'expédition en radeau du Kon-Tiki de l'Amérique du Sud à la Polynésie française, lui fait découvrir l'art précolombien. Eugène s'en inspirera pour façonner en céramique des masques, des pirogues, des statuettes et des divinités émaillées or,  et plus tard pour peindre des caravelles et des marines. 
Dans le village vallaurien, il rencontre la jeune Edith Ramos, venue des Acores, qui s'est formée à la céramique chez René Maurel, et qui travaillera chez Suzanne Ramié dans l'atelier de Madoura pour remplacer le départ de Jacqueline Roque  devenue Jacqueline Picasso.

Edith et Eugène se marient en 1956 et donnent naissance à Nathalie dit Natacha

Avec ses contemporains locaux, Eugène participe aux expositions du Nérolium de 1955 à 1958. Mais il décide prendre le vent et de quitter Vallauris, cédant son atelier aux  Argonautes.
eugene fidler


Au fils des voyages, un point d'ancrage à Roussillon.
Dès 1957, sa curiosité pour découvrir de nouvelles cultures et notamment les origines ibériques de son épouse amène la famille à voyager en Espagne, aux Baléares, au Portugal et aux Acores. Eugène délaisse alors la céramique pour s'exprimer à nouveau dans la peinture. Ses dessins et ses céramiques sont exposées aux cotés de celles de Miro et de Picasso à la galerie Sala Gaspar.

Début des années 60, c'est le retour en France car 'la petite' doit être scolarisée. La famille s'installe dans le sud, à Nice, à Cannes et à Vallauris. Eugène côtoie Roger Capron, Jean Derval, Gilbert Portanier et se lie d'amitié avec le photographe Lucien Clergue. Il s'adonne encore à la peinture. 

En 1969, la famille retourne et s'installe définitivement à Roussillon d'Apt, petit village authentique qui scintille sous la lumière ocrée. Eugène remet les mains dans la terre tout en continuant son œuvre picturale.  

L'artiste travaillera dans son atelier jusqu'à son dernier souffle le 30 septembre 1990. 


L'art du collage ou l'art Fidlerien.
Parmi les différentes techniques qu'a travaillées Eugène, dont l’huile, l’aquarelle, la gravure, la linogravure, le crayon graphite et le feutre, c’est celle du collage qu’il a privilégiée vers 1966 bien qu'il ait commencé cette pratique en 1960. 
Il a réinventé l'art du collage en mettant au point un procédé de grattage de bouts de papiers collés et en superposant des dessins stylisés réhaussés d'encres polychromés avec des extraits de journaux et de vieilles revues illustrées dont il a choisi délibérément les titres et le texte. 

Ce langage visuel, recoloré et raffiné est propre à l'artiste.

Qualifiée par Jean Lacouture d'art "fidlérien", cette technique originale a retenu l'attention et les encouragements de Picasso et Jean Cocteau. 
eugene fidler ceramiste

Le symbolisme de l'oeuvre.
Indépendant des tendances et des courants artistiques, Eugène Filder a développé un vocabulaire graphique d'une grande sensibilité. Bien que son œuvre soit difficilement classable, sans se rattacher à aucune école, elle présente quelques caractéristiques du fauvisme par les couleurs chaudes mêlées du bleu ciel de Provence et de Méditerranée, du cubisme par la déconstruction dans les collages et du néo-primitivisme. 
eugene fidler collage
Natif de Balti, ville anciennement sur la carte de l’empire russe, appartenant à la Roumanie et aujourd’hui située en Moldavie, l'homme n'a pas oublié ses origines et les exils imposés par les deux guerres mondiales. Un parcours nomade à travers une dizaine de pays !
Inspiré par le folklore russe et par ses voyages méditerranéens, il élabore sa propre symbolique autour de sa vie intime, alliant le figuratif et la géométrie, l'abstraction et l'émotion.
En écho à sa région, son œuvre graphique est imprégnée des ocres de Roussillon et de l’esprit de rébellion des réfugiés juifs qui ont trouvé, comme lui, asile dans le village lors de la Seconde Guerre Mondiale.
En quête de terre d'accueil, de terre en paix, l'espoir et la liberté rayonnent aussi bien dans sa peinture figurative que dans sa céramique de peintre. Tel un acte de résistance, l'esprit bohème anime les scènes joyeuses et vivantes qu'Eugène grave dans la terre et sur toile. 
eugene fidler ceramiste
Dans 'Un prince de la Bohème', Balzac écrivait : « Ce mot de Bohème vous dit tout. La Bohème n’a rien et vit de tout ce qu’elle a. L’espérance est sa religion, la foi en soi-même est son code, la charité passe pour être son budget. Tous ces jeunes gens sont plus grands que leur malheur, au-dessous de la fortune mais au-dessus du destin. » 
eugene fidler
Cette image colle aux personnages expressifs d'Eugène : ce sont des saltimbanques, des troubadours, des musiciens, des couples amoureux,  'des rois et de reines de carnaval coiffés de leurs couronnes', des calèches et roulottes de Roms, des jeunes gens jouant au ballon...
Désarticulés par le jeu géométrique du cubisme, les personnages ressemblent parfois à des marionnettes en apesanteur dans le cirque fantaisiste d'un rêve. Mais tout est bien réel et vivant, pour preuve l'émotion sur les visages et la posture des corps. 
Eugene fidler ceramiste
A l'image de la culture russe primitive, ici la joie, teintée de poésie lyrique, résonne avec tendresse et candeur. 
Chaque scène devient le théâtre des 'jours heureux', où le bonheur est l'acteur principal d'une comédie au 'couleur de fête' ! Car 'Pour Eugène Fidler, c'est tous les jours fête.' Et la musique n'est jamais loin, telle une muse source d'inspiration de l'artiste, comme l'ont été les femmes de sa vie (sa mère, ses deux épouses, sa sœur pianiste, ses filles). 

Alors, il peint en poète. Au grès du temps, cherchant toujours à sortir des limites étroites de la réalité, il joue avec les gammes des couleurs pour recolorier sa propre vision du monde, un peu à la manière des fauvistes et avec un léger clin d'œil à Paul Klee, qu'il admire tant. 

Village au bord de mer, Marine au nuage bleu, Terrain de jeux, Construction "à la clé", Village de guingois, Paysage mental, Paysage imaginaire, Des vélos dans la tête, le Baiser, ... peuplent l'univers onirique du peintre. 
eugene fidler aquarelle 1984
Entre réalité et imaginaire, en portant un regard fantaisiste et enchanteur sur l'humanité, l'œuvre d'Eugène Fidler délivre à tous les peuples un message d'espoir et de liberté. 
eugene fidler peinture

Une œuvre prisée et collectionnée .
Les expositions de groupe ou personnelle se sont enchainées en France et à l'international (Barcelone, Los Angeles, San Remo, Bonn, Le Caire, Zurich, Oberhausen ...). En 1954, il est présent à la Henry Clews, Fondation à la Napoule et à l'exposition Internationale de la Céramique à Cannes. Au printemps 1958, ses peintures et ses dessins sont présentés avec son ami sculpteur céramiste François Raty, à la Galerie 65 de Cannes. 

Si Eugène Fidler est référencé dans les ouvrages des grands céramistes des années 50 et des Trentes Glorieuses, son œuvre reste encore peu connue du grand public. Et pour cause, l'homme est un artiste errant tel un nomade, par nécessité pour fuir le régime nazi, puis par désir pour découvrir de nouvelles cultures et les rivages méditerranéens. Son séjour à Vallauris durant la florissante période de l'Age d'Or était de courte durée et ses pièces ont été dispersées dans le monde entier, ce qui explique qu'il est rare d'en  rencontrer sur le marché de l'art et dans les expositions.

Notons que la galerie Lebreton défend l'œuvre de l'artiste et l'expose régulièrement à la foire internationale Art Miami/Basel depuis 2018. Spécialiste de la céramique des années 50, la galerie Atrium de Thomas Fritsch propose aussi quelques pièces du céramiste.

Le style atypique d'Eugène Fidler est toujours prisé par les collectionneurs, citons quelques noms : Jean Lacouture - le Dr Zagat, New-York - Georges Brunet Cannes - le Professeur Valadorès Paris - le Dr Le Goff, Cannes - Mrs Clews, La Napoule - Jaime Feliudabalo, Barcelone - Hans Roester, Munich - Pierre Thieule, Montpellier - Pinheiro-Chagas, Lisbonne - Pereira Gomez, Lisbonne - Maitre Lubinsky, Tel-Aviv - le Professeur Zalluar, Sao Paulo - le Duke of Somerest, Majorque - Mrs Olivia de Havilland - Pascal Marziano Monaco etc.

Nous remercions Madame Edith Fidler pour les informations communiquées sur Eugène et son atelier.

Ecrivaine, fille ainée de l'artiste, Catherine Fidler a écrit un ouvrage 'Terres mêlées' sur l'œuvre son père. Edith et sa fille cadette Natacha Fidler travaillent toujours l'art céramique à Roussillon dans le sillage de l'œuvre d'Eugène, en y apportant leur propre touche colorée et sensible.

Texte Photos © Christine Lavenu, publié 02/07/2022, maj 16/02/2024

Edith Natacha Fidler - 12 sept 2020 - Musée Saint Quentin la Poterie
Edith & Natacha Fidler -  Exposition les Trente Glorieuses, vernissage ( Sept 2020, Musée Saint Quentin la Poterie) devant les œuvres d'Eugène Fidler (Collection P.Marziano).
Miroir de Georges Jouve en arrière plan.
Où Edith parle de sa rencontre avec Eugène à Vallauris (un peu grâce à Picasso) et raconte comment ils ont installé l'"Atelier Fidler" (céramique et peinture) à Roussillon. Avec intervention de leur fille, Natacha, sur une improvisation musicale d'Aurelio Perez.

Sources : 
Entretiens avec la famille (Edith et Natacha)
Site de l'artiste et de l'atelier : Eugène Fidler 
Cathie Fidler, EUGÈNE FIDLER - Terres mêlées, Éditions Ovadia, Nice, 2016.
 Francine Birbragher , Simonne Jean Lacouture - Eugène Fidler : Artiste libre, Editeur Biro, 2010
Anne Lajoix - L'Âge d'Or de Vallauris, Éditions de l'Amateur, Paris, France, 1995.
Staudenmeyer Pierre - La céramique française des années 50, Editions Norma, 2004. 
Come Rémy, Bartoletti Laurence, De Bruignac-La-Hougue, Forest Dominique, Gros Anne, Lacquemant Karine - Création en France, Arts Décoratifs 1945-1965, Gourcuff Gradenigo, 2009.
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