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Jean Tessier (1931- 2020) 


Céramiste, calligraphe, écrivain et critique d’art français. 

Villenauxois pure souche, Jean Tessier est l'un des pionniers de la renaissance du grès de l'après-guerre dans les Arts de la Table

Jean  nous a quittés le 09 mars 2020. 
Cette page se veut un hommage à cet homme généreux et sympathique, humaniste anti-consommation, anti-nucléaire, anti-publicité. 
Un passionné de céramique, de calligraphie et d'écriture, qui à la fin de sa vie continuait de rédiger des poèmes à la lumière de la bougie. 

L'héritage de la céramique

Petit-fils d’un tourneur et d’une grand-mère qui travaillait déjà la terre cuite et porcelaine, fils d’un manufacturier de faïencerie, Jean Tessier est né en 1931 à Villenauxe la Grande dans l’Aube. Diplômé de l'école des Beaux- Arts de Paris et diplômé des Arts Plastiques, il part en 1952 se former au tournage chez Pierre Lion à Saint Amand en Puisaye. Puis deux années de suite, il fait un stage chez le couple Pierlot au château de Ratilly, qui lui fait partager leur passion de l’artisanat. 

L’esprit de la Terre, le mode de vie du potier lui sont aussi révélés par les lettres d’Anne Dangar, diffusées dans la revue du Zodiaque à La Pierre-qui-Vire. 

Son séjour d’une année au Danemark dans différents ateliers individuels et usines de céramiques est déterminant pour la suite de sa vie : dans l’ile de Bornholm, il apprend le grès moderne scandinave aux lignes épurées et à la Manufacture Royale de Copenhague, il retient la mise au point de modèles éditables.
jean tessier ceramique cep
 « J’étais obsédé, écrit-il, par la crainte de copier le passé. Pour moi, la reconstruction de la poterie devait passer par une période de retour aux sources gardant le caractère de certaines formes mais en débarrassant celles-ci des caractères anecdotiques faisant référence au passé rustique."

De retour en France, il veut se démarquer de la manufacture de familiale de son père. Celle-ci produit des souvenirs du bord de mer et autres objets pour les sites touristiques, les stations balnéaires et de ski. Ces céramiques sont diffusées en France, en Espagne et en Italie. 

Le 29 septembre 1959 à Villenauxe la Grande, Jean Tessier ouvre l’atelier du CEP, qui tire son nom des célèbres vignobles de champagne. Fortement influencé par son expérience scandinave, il invente une ligne de produit de la table conjuguant le retour pur et dur à la forme et la matière. 

Au Salon des Ateliers d'Art (AA) de 1959, il est l’un des premiers aux cotées de Maurice Crignon à exposer des services de table en grès. Jean y montre des pièces utilitaires contemporaines aux lignes allégées. Nommé Ligne C (pour le Cep de la vigne), ce service donne au grès une apparence plus urbaine et élégante, plus propice à la vie moderne, ce qui crée un évènement au salon AA, et qui va marquer l’engouement du grès durant les deux décennies suivantes.
En parallèle, Jean imagine des sculptures en grès au nom de ‘loup poète’ et ‘esquimau’, il créera par la suite d’autres pièces très personnelles, comme l’âne nommé ‘Patoche’. 

En 1962, il crée un service de table au nom de Ligne Blanche d’une forte sobriété esthétique. En 1969, toujours pour la table, il exploite la porcelaine sauvage.  

Jean Tessier ne trouve pas d’usine pour éditer ses modèles, aussi il les fabrique lui-même avec quelques employés, jusqu’à sept dans les années 70. Sa production se limite à des petites séries de pièces utilitaires et services de table.

Il s’intéresse aussi à l’art mural et devient l’un des précurseurs du renouveau de l’art mural et l’art architectural. En 1962, il présente un relief intitulé ‘le Grand Identique’ au salon Comparaison. 
jean tessier patoche ceramique

De 1959 à 1980, Jean Tessier a incarné l'esprit de la modernité en France

Jean Tessier - Villenauxe la Grande

La sagesse du potier : le partage du savoir

Une soixantaine de jeunes scandinaves, anglais, irlandais et américains sont venus apprendre dans son atelier de 1959 à 1980. Jean a aussi accueilli des artistes danois renommés pour réaliser de grands reliefs destinés aux bâtiments du Danemark comme en 1962 Gerda Akesson (1909-1992) épouse de Axel Joahnnes Salto  (1889-1961), Ulf Trotzig (1925), en 1968 Allan Schmidt (1923-1989), en 1970 Poul Janus Ipsen (1936). 

En 1996, l’artiste japonaise Yasuhisa Kohyama (1936) séjourna quelques mois à Villenauxe la Grande. 
De 1964 à 1967, Jean Tessier étudie auprès de Francine Delpierre (1913-1968) la chimie des émaux. Lié d’amitié avec elle, ils déjeunent chaque semaine avec la céramiste américaine Fance Frank (1931-2008).
Jean commence alors ses voyages au Japon. 

De la céramique à la calligraphie et à l'écriture

C’est en 1970 que Jean Tessier réalise son premier voyage au Japon. Il ajoute alors à l’idéal de l’esthétique scandinave, la recherche d’une dimension plus intérieure à la poterie, celle de la spiritualité japonaise. 

De retour du Japon, il s’arrête en Cornouaille pour rencontrer Bernard Leach (1887-1979), avec qui il partage la même vision de la céramique. Cette rencontre l’incitera à rassembler ses notes journalières pour en extraire un article ‘Au Japon des Potiers’ édité en juillet 1980 par la revue Zodiaque de la Pierre qui Vire

En Belgique, il rencontre dans une exposition l’artiste Yu Fujiwara (1932-2001), qui deviendra en 1970 Trésor National Vivant du Japon. Ce dernier l’invite au Japon. En 1978, Jean repart ainsi au pays du soleil levant, à Bizen pour travailler deux mois dans l’atelier de Yu Fujiwara. 

Après son troisième voyage en 1980, Jean se consacre à nouveau à ses notes pour écrire un manuscrit et trouver un éditeur, ce qui l’amènera à écrire deux livres comparant la situation de la céramique en France et au Japon. 
Jean Tessier ceramiste
Une autre facette de la personnalité du céramiste : La calligraphie
Dès 1976 et durant 15 ans, Jean étudie l’enseignement de la calligraphie chinoise du Maitre Ung-No-Lee. Il cherche à développer un expressionniste porteur de messages.

Son travail calligraphique est reconnu à Osaka (Japon) en 1996 avec une exposition personnelle. Cette même année, avec le fils de l’Empereur de Chine, il est choisi comme l’Invité d’Honneur pour l’exposition de calligraphie du groupe Kenze avec le Maitre Shoryu Yoshida.

Dans les années 90, Jean Tessier organise de nombreuses conférences sur le ‘Jardin des Potiers’ (Paris, Troyes, Valence Epernay), sur la calligraphie chinoise (Troyes, Paris, Nogent sur Seine) et sur la céramique de la cérémonie du thé au Japon (Troyes).
Jean Tessier ceramiste
En complément de l’écriture de cinq pièces de théâtre (dont une sur l’histoire de Camille Claudel et son internement psychiatrique forcé), Jean rédige sous son nom et parfois sous le pseudonyme ‘ Evariste Bertrand’ de nombreux articles avec une grande liberté de ton pour entre autre la revue de ‘La céramique Moderne’. Lanceur d'alertes sur les dangers qui menace l'avenir de sa profession, ses revendications sont adressées directement aux ministres, aux conservateurs des musées ou encore aux organisateurs d’expositions. 

Dans les années 80, il ne croit plus en l’avenir de l’artisanat en France : trop de charges sociales, trop de lourdeurs administratives. Il s'interroge sur la place de l’artiste dans la société. Ses ‘bas-reliefs de combat’ traduisent son regard sur l’évolution de la société.  

En 2001, il effectue un reportage journalistique de critique d’art pour la Biennale de la Céramique de Séoul (Corée).

En 2006, à l’âge de 75 ans, il repart en solo cinq semaine en Chine à la recherche de vieux calligraphes.

Jean n’a pas oublié les affaires qui défrayaient la chronique comme le suicide de Gabrielle Russier et les enfants de Cestas. Il s’en est inspiré pour imaginer une œuvre triptyque dans laquelle le dénouement permet aux enfants de Cestas de se retrouver dans les bras de Gabrielle quand les portes de l’étable se referment. 
Jean Tessier Plaque murale
Jean Tessier Plaque murale

Jean Tessier laisse derrière lui une œuvre riche et une vie de revendications et de réflexion sur le devenir de notre société. Ses ‘bas-reliefs de combat’ sont chargés d’une vérité dérangeante, dont l’écho résonne encore avec notre actualité au XXI siècle.

Prix et distinctions :
1962 : Prix de la Reconnaissance Artisanale
1963 : Palme d’Or de la Reconnaissance Artisanale Pro Tadino (Italie) Exposition sur le thème : relief mural
1966 : Médaille d’Encouragement à l’Art et l’Industrie
1967 : Médaille d’Argent de l’AIC (Académie Internationale de Céramique) Istanbul
1971 : Médaille de Bronze de la Reconnaissance Artisanale
1984 : Prix départemental des Métiers d’Art
1995 : Diplôme d’honneur de Reconnaissance Artisanale 

Expositions collectives :
1957 : Spiralen (Post-Cobra) – Copenhague (Danemark)
1961 : ‘Jeune sculpture’ – Paris (France)
1962 à 1970 : ‘Comparaison’ et ‘Nationale des Beaux-Arts – Paris (France).
1962 : Exposition l’Académie Internationale de la Céramique AIC – Prague – (Tchécoslovaquie)
1963 : Exposition AIC – Londres – (Angleterre)
1963 : Exposition Reconnaissance Artisanale Pro Tadino (Italie)
1965 : Exposition AIC – Londres (Angleterre)
1965 -1967 : Exposition des Identiques (Groupes post Cobra) – Villenauxe (France)
1967 : Exposition AIC – Istanbul (Turquie)
1973 : Exposition AIC – Londres (Angleterre)
1981 : Exposition Tokyo (Japon)
1986 : Exposition ‘Créer la terre’ Romilly (France)
1990 : Exposition Calligraphie - Disciples de Maitre Ung-No-Lee Romilly (France)
1990 : Exposition Calligraphie Barcelone (Espagne)
1997 : Co-Invité d’Honneur à l’exposition du groupe de calligraphes ‘Kenze’, Osaka (Japon)
1998-1999 : Invité simple à l’exposition du groupe de calligraphes ‘Kenze’, Osaka (Japon)

Expositions personnelles :
1964 : Exposition personnelle, Chicago (USA)
1966 : Exposition personnelle, Stockholm (Suède)
1987 : Exposition personnelle Ecriture Centre Culturelle, Troyes (France)
1993 : Exposition personnelle Céramique et Calligraphie Galerie Notre Dame des Champs, Paris (France) 
1997 : Exposition personnelle Céramique et Calligraphie Galerie Photon, Osaka (Japon) 
2005 : Exposition personnelle Pièces Monumentales, Galerie Gabrielle Laroche, Paris (France)

Livres écrits par Jean Tessier :
Au Japon des potiers, 1980, Editions du Zodiaque
Le Japon des potiers, 1993, Editions Maisonneuve et Larose
Voyage d’un potier français au Japon, 2000, Editions Maisonneuve et Larose

Je remercie Messieurs Jean et Julien Tessier d’avoir partagé leurs expériences et leur vision du métier de céramiste dans la société française des années 50 à nos jours.  

Texte & photos © Christine Lavenu Avril 2021 

Sources : 
Interview Christine Lavenu & Jean Tessier 2016
La céramique moderne, n°190 février 1977 ( L’avenir de la céramique).
La céramique moderne, n°215 mai 1979 
La céramique moderne, n°219 octobre 1979 
La céramique moderne, n°301 mars 1987 
La revue de la céramique et du verre, n°124 mai-juin 2002 ‘Mouvement littéraire en faveur de la céramique’
La revue de la céramique et du verre, n°120 sept-oct 2001 ‘Voyage d’un potier français au Japon’
La revue de la céramique et du verre, n°108 sept-oct 1999, ‘Pots de terre, fragment d’histoire’
La revue de la céramique et du verre, n°104 jan-fev 1999
La revue de la céramique et du verre, n°102 sept-oct 1998
La revue de la céramique et du verre, n°101 juil-aout 1998
La revue de la céramique et du verre, n°73 nov-dec 1993 ‘Le Japon des potiers’
La revue de la céramique et du verre, n°71 juil-aout 1993 : Article écrit par Robert Deblander
La revue de la céramique et du verre, n°65 juil-aout 1992 : Céramique coréenne
La revue de la céramique et du verre, n°60 sept-oct 1991 : Shigaraki ou le rêve céramique
La revue de la céramique et du verre, n°59 juil-aout 1991 : Pour le monothéisme de l’art, clé de l’universalité
La revue de la céramique et du verre, n°51 avril-mars 1990 : La vaisselle artisanale
La revue de la céramique et du verre, n°27 avril-mars 1986 : Œuvre céramique calligraphique
La revue de la céramique et du verre, n°8 : Japon par André Pelt
Potiers de grès, sceaux et signatures de 1941 à 1985, Denis Goudenhooft, Edition Complément d'objets, 2010
Mission céramique, Jean-Jacques et Bénédicte Wattel, Editions Louvre-Victoire, Paris 2013
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