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Lucie Rie (1902-1995)
Céramiste britannique d'origine autrichienne
Lucie Rie est une potière-céramiste d'atelier d'origine autrichienne, connue pour son style
moderniste caractéristique du XXe siècle urbanisé.
Elle peut être considérée comme une des premières « Urban Potter
» et a eu une profonde influence sur la céramique britannique et au-delà, en contribuant à gommer la frontière entre art et artisanat, sans jamais renoncer
aux leçons de la tradition.
Une vie au XX siècle et ses vicissitudes
Lucie Gomperz est née à Vienne en 1902, cadette d'une famille juive de trois enfants. Son père, Benjamin Gomperz, était médecin, et travaillait avec Sigmund Freud. Sa mère Gisela Wolf est issue d’une riche famille de viticulteur.
À vingt ans, sous l’influence d’un oncle maternel amateur d’art et d’archéologie et de sa collection de poteries romaines, elle commence des études d'art et d'artisanat à la Wiener Kunstgewerbeschule. Cette école d’art est rattachée aux Wiener Werkstatte, ateliers d’artisanat d’art liées à la Sécession Viennoise et créés par l’architecte, designer, et théoricien Josef Hoffmann, dont les idées influenceront le Bauhaus et l’Art Déco.
Là, au sein de l’atelier de céramique dirigé par Michael Powolny, elle apprend le tournage, technique qu'elle utilisera tout au long de sa carrière. Les pots et les bols en faïence que Lucie Rie réalise au début de sa carrière utilisent une palette de couleurs restreinte comme le blanc, le beige, le gris et le noir : ils sont influencés par Josef Hoffmann, qui la remarque et expose sa production à la Deutscher Werkbund (Union des Artistes Allemands, créée en 1907 pour promouvoir une « esthétique industrielle » innovante).

Après avoir obtenu son diplôme en 1926, elle épouse Hans Rie, un ami d'enfance. Au cours de la décennie suivante, Lucie expose ses pots, bols, vases et services à thé lors d'expositionsinternationales dans toute l'Europe, en particulier à l'Exposition Universelle de Paris dès 1925, puis à l'Exposition Internationale en 1935 où elle obtient une médaille d’or et celle de 1937 où elle reçoit une médaille d’argent.
Lucie Rie a donc déjà une œuvre connue et reconnue avant son exil anglais.
L'exil en Angleterre
En 1938, devant la montée du nazisme et l’Anschluss, le couple Rie se rend au Royaume-Uni, dans le cadre d'un projet d’émigration aux États-Unis. Cependant, Lucie décide de rester à Londres et persuade son mari de partir sans elle.
Elle s'installe alors dans une ancienne écurie transformée en un petit atelier au 18 Albion Mews, près de Hyde Park à Londres, où elle travaillera de 1939 jusqu'à la fin de sa carrière en 1990.
Ses œuvres personnelles reçoivent un premier accueil assez froid dans le milieu artistique britannique, en raison du style moderne et plutôt austère qu'elle leur appliquait, très différent de l'aspect rustique habituel des Britanniques, défendu par l’influent Bernard Leach
(1887-1979).
Celui-ci prônait le retour à l’artisanat quasi médiéval des campagnes sous l’influence du mouvement japonais Mingei, qu’il a contribué à créer lors de son séjour au Japon et qu’il s’emploie à propager en Europe après son retour en Angleterre en 1920. Rie et Leach ont été amis après leur première rencontre, elle partage sans doute son aversion pour le manque d’âme des productions industrielles, mais sur le plan de l’esthétique elle ne se laissera jamais influencé par lui.
Au début des boutons,
« Comment avez-vous réussi à joindre les deux bouts à vos débuts à Londres ? Avec un découvert bancaire » (Interview de Lucie RIE par David Attenborough,
1982).
Afin de gagner sa vie pendant la guerre, elle entreprend la fabrication de boutons et de bijoux en céramique qu’elle vend aux couturiers de l’époque, qui sont alors soumis aux restrictions de la guerre (le métal étant destiné en priorité à la fabrication d’armes). Cette expérience pourrait sembler un retour en arrière mais en fait cela l’oblige à faire de
nombreuses recherches d’émaux pour harmoniser boutons et textiles : cette recherche la passionnera toute sa vie.
Lucie Rie accueille et emploie plusieurs réfugiés de guerre pour l’aider dans production semi-industrielle. Parmi eux, elle accueille le jeune allemand Hans Coper,
ou encore Ruth Duckworth.
Plus d'une décennie de complicité avec Hans Coper
Hans Coper
(1920-1981) révèle vite un grand talent de tourneur et il exercera une grande influence sur elle. Ensemble, dans les années 50, ils produisent des pièces utilitaires mais sophistiquées et attrayantes, aux formes fluctuantes et aux légères inclinaisons. Ils créent des services à thé et à café, des bols, des huiliers, aux parois fines et anguleuses typiques, généralement teintées en brun foncé ou en blanc.


Mais au tournant des années 60, leur chemin se sépare. Hans Coper privilégie une approche plus sculpturale, où la recherche de la forme est primordiale et la palette de couleur très réduite.
Au contraire, Lucie Rie va rechercher une palette de couleurs diversifiées, délicates mais affirmées, pour mettre en valeur des formes issues de la tradition potières, mais très modernes par leur élégance élancée et des décors sophistiqués.
La tradition potière au cœur des mains et de l'esprit

Lucie Rie utilise le tour de potier, d’abord au pied puis électrique. Mais son tour est surélevé et n’offre pas la protection des bacs classiques, ce qui suppose un tournage en peu de gestes et économe en eau.
Elle utilise la technique du nériage pour produire des vases discrètement colorés, ou les techniques du mishima et du sgraffite pour animer ses bols et de ses grands vases avec des décors graphiques aux lignes très fines.
Elle pratique dès le début de sa carrière la mono-cuisson. De ce fait, elle applique l’émail au pinceau en couches épaisses sur ses pièces non cuites (et non pas en trempant la pièce dans un seau d’émail, une pièce non cuite ayant toutes les chances de se fendre sous l’effet de l’eau).
Elle cuit au four électrique, à une époque où ce n’était pas encore très répandu, et fait la preuve que la cuisson en réduction n’est pas nécessaire pour obtenir des émaux colorés de grande qualité.

La postérité
Lucie Rie est également une enseignante réputée au côté de Hans Coper, à la Camberwell School of Arts and Craft
de 1960 à 1972. Ses étudiants se souviennent de sa franchise qui ne s’embarrasse pas de diplomatie. Ray Silverman
(né en 1943), un ancien élève devenu un céramiste réputé, disait qu’après 40 ans de carrière il se demandait encore après une séancede tournage « ce que Lucie en aurait pensé »…
Les céramiques de cette grande dame de la céramique ont été exposées dans de nombreux lieux après-guerre et ont été primées à plusieurs reprises.
En 1949, Rie a eu sa première grande exposition à la Berkeley Gallery de Londres. Depuis, des rétrospectives ont été organisées par l'Arts Council of Great Britain en 1967 - le point de départ de sa reconnaissance par ses pairs et la critique -, puis au Victoria and Albert Museum en 1981.
Certaines de ces expositions étaient collectives, comme celle avec son partenaire Hans Coper, au Metropolitan Museum of Art de New York en 1994.
Ses œuvres ont également été exposées au Japon, notamment lors d’une exposition en 1989 mise en scène par le couturier Issey Miyake, avec qui elle se lie d’amitié dès 1980. Il organise une nouvelle exposition mémorable en 2019, où les œuvres de Lucie Rie sont présentées sur une grande nappe d’eau alimentée par une cascade.
En 1991, Lucie Rie est devenue Dame de l'Empire britannique.
Elle est décédée en 1995 à l'âge de 93 ans.
L’atelier de Lucie Rie est visible au Victoria & Albert Museum
à Londres. Contrairement à d’autres céramistes, ses carnets de recette sont accessibles et certaines de ses recettes bien connues, comme son blanc satiné à la dolomie.
« I like to make pots – but I do not like to talk about them” (Lucie Rie).
« If one should ask me whether I believe to be a modern potter or a potter of tradition I would answer : I don’t know and I don’t care. Art alive is always modern, no matter how old or young. Art theories have no meaning for me, beauty has. This is all my philosophy. I do not attempt to be original or different. Something which to describe I am not clever enough moves me to do what I do. » (Lucie Rie, manuscrit non publié, 1951)
Texte © Pascal Grosjean, publié le 28/07/2025
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Sources, pour voir et en savoir plus :
« Lucie RIE » - Biographie par Tony BIRKS – éditions des ateliers d’art
Catalogue de l’exposition 2023 « Lucie RIE : the Adventure of Pottery » - Kettle’s Yard
Article sur Lucie RIE / Connaissance des Arts - Mars 2025