filliatreau
Christiane Filliatreau (1952)
Dessinateur, sculpteur & céramiste à Buoux, près d'Apt dans le Lubéron, France.
René Ben-Lisa
disait : "La charge poétique d’une pièce est la résultante de ce que l’on a en soi. "
Cette phrase fait écho à l'œuvre sculpturale et singulière de Christiane Filliatreau.
Née en 1952 au Maroc, dès son plus âge, Christiane aime s'isoler bien au delà du fond du jardin pour modeler de ses mains la terre.
En 1968, elle décide de s'orienter vers le dessin et la gravure. Pendant cinq ans, elle étudie à l'école des Beaux-Arts de Luminy (Marseille) implantée au
cœur du massif sauvage des Calanques. C'est dans cet environnement phocéen bercé de soleil et gorgé de falaises calcaires qu'elle rencontre Rémy, son futur mari.
La vie est belle et douce, et pourtant, il manque un 'petit quelque-chose' à Christiane. Une sensation, celle de la terre au creux de ses paumes. Ancré dans son fond intérieur, le désir d'inventer des formes n'est pas étouffé par la pratique du dessin, bien au contraire ! Dès 1970, pendant son temps libre, elle profite de la salle dédiée aux projets d'étudiants en céramique pour modeler. Sa rencontre avec le professeur et céramiste René Ben Lisa va bousculer sa vision artistique et lui fait prendre conscience que la terre, avec sa charge symbolique considérable est et a toujours été son moyen d'expression, son médium.
Diplômée en céramique et déjà maman, Christiane est aussi reçue au concours de professeur en Arts Plastiques. Rémy s'est spécialisé dans l'aménagement du territoire. Le couple cherche un lieu sauvage et naturel pour s'installer. Ce sera à Buoux, un petit hameau provençal baigné de nature.
Le logement proposé par le maire du village est une ruine à restaurer. Voisin à quelques kilomètres, René Ben Lisa propose de dépanner la famille en les hébergeant à chez lui. Ainsi, Christiane travaille avec et dans l'atelier de René. L'année suivante, la famille regagne Buoux. En parallèle du professorat, Christiane pratique la céramique.
Maître des émaux et du feu, René Ben Lisa a laissé un héritage technique, poétique voire philosophique à toute une nouvelle génération de céramistes.
Christiane savait qu'après avoir quitté son atelier, elle devrait voler de ses propres ailes. Il lui faudrait désapprendre.
En 1996, dans son article pour la Revue de la Céramique et du Verre, rendant hommage à son ami et professeur, elle explique : "Je savais que le chemin serait long et périlleux, qu'il me faudrait dissocier mon monde du sien. Il me fallait trouver mon vocabulaire à moi, pour être moi. "
Son vocabulaire, elle le trouvera dans la nature sauvage et préservé du grand Luberon.
Christiane commence par explorer la voie de l'émail en créant des vases boules.
Le col de la pièce disparait, la boule de plus en plus organique se referme sur le tapis minéral.
La forme, la texture, la couleur se métamorphosent telle une graine en germination.
La vie s'ouvre timidement ou brusquement,
l'éclosion est proche.
Des cocons blancs ou bleus en porcelaine, des chrysalides en porcelaine et en grès s'éveillent.
Sous le regard poétique de l'alchimiste, tout pousse et éclot avec grâce et audace dans son jardin d'Eden.
En 1995, la famille déménage sur les hauteurs de village. Le terrain rocheux est pente face au massif du grand Luberon. Sur la restanque taillée à flanc de paroi, avec Rémy, elle construit sa maison-atelier. Ensemble, ils manient la pelle, la brouette, les parpaings et la bétonnière. Depuis ce jardin haut perché se dévoile un paysage qui se métamorphose au fil des heures et des saisons. Ce panorama unique rappelle les forces tectoniques qui ont forgé les Préalpes et le cours des ruisseaux au pied des falaises.
Ici, tout se prête à la promenade et à la méditation. Seule, durant des heures, Christiane parcourt les forêts croisant les sources et les anciens vestiges.
Cette nature sauvage nourrit le jardin botanique de Rémy et l'âme de Christiane.
Mémoire maternelle, affective, primaire, perdue, oubliée.
Dans le nouvel atelier, le four à bois a été remplacé par un four électrique. Christiane s'en réjouit, cela lui permet de réduire sa palette d'émaux et de se concentrer sur la forme.
Rien n'est laissé au hasard !
Tout passe d'abord par l'esprit. Volume, texture, couleur, cuisson, même le 'petit nom', tout est réfléchi et muri avant que ses mains se mettent en action.
Le thème de la maternité et de l'allaitement amène les 'Naissains', des silhouettes organiques au téton. Fragments de Terre, mémoire d'une mère. Celles qui nourrissent celles qui enfantent.
La vie continue vers un monde organique primitif, celui des 'Aventi', genre de fossiles marins oubliés dans les roches calcaires.
Christiane se souvient de la vie des anciens, du travail de la main.
Mémoire de rémouleur, de meunier
La meule ! Vestige et symbole d'une Terre nourricière.
Des meules rondes comme la lune, percées au centre, pour dévoiler le ciel céleste.
Au fil de la vie, au fil des villages,
En 2020, avec l'exposition 'Art secret', les sculptures de Christiane se nichent dans le village de Bonnieux, pour résonner en écho avec le patrimoine régional. (photo ci-contre).
L'œuvre de l'artiste est en constante évolution, alimentée par ses réflexions pour donner naissance à des petites séries : les 'Sans tête ni queue', les 'Arches', les 'Nuages', les stèles 'Calcinés', les 'Sentinelles', les arbres 'Déhanchés', les 'Coiffes', ....
Ces pièces montées au colombage sont parfois nues ou encore émaillées, le plus souvent monochromes.
Paradoxes.
Mêlant le grès et la porcelaine, Christiane explore et joue avec les techniques de surface : le lisse avec le rugueux, l'incrusté, le superposé.
La texture évoque aussi bien l'invasion de mousses végétales que la fragilité minérale du corail.
Si le contraste de matière éveille le sens du touché, il rappelle aussi les paradoxes qui nous entoure.
Les Gourski.
En chacun de nous se cache un jardin intime avec des secrets et de vagues souvenirs d'enfant.
Le temps joue avec notre mémoire et il n'est pas toujours facile de savoir si un personnage appartient au réel ou s'il est le fruit tombé d'un rêve.
Christiane dévoile le peuple caché de sa grotte intérieure. Elle a appris à apprivoiser ses créatures fantomatiques.
Elle les libère en les sculptant.
Ce sont les Goursky !
Etranges, petits ou grands, en bronze ou en terre, ils nous observent autant qu'on les observe.
C'est pourquoi ils sont si attachants !
Le dessin
Les dessins de Christiane sont réalisés à l'aquarelle et l'encre de chine sur papier Canson.
Si ses sculptures nous amènent hors du temps en sondant la nature végétale et minérale, les dessins de Christiane nous ramènent sur terre par le graphisme topographique.
Ils semblent évoquer la Terre
vue du ciel.
Comme les photographies de Yann Arthus-Bertrand lors de ses voyages aériens, la beauté du paysage attire et fige le regard.
Comment ne pas se perdre dans les forêts sauvages du grand Luberon ?
Une carte comme un repère pour la mémoire ?
D'autres dessins évoquent une plongée aquatique.
Christiane Filliatreau expose son travail en France et à l'étranger.
La Galerie 22 présente régulièrement ses pièces à Cabrières d'Avignon.
Du 3 juin au 14 juillet 2021, la Galerie Prisme expose 23 sculptures de l'artiste au Totem de la Borne.
Retrouver ses expositions en cours en consultant la rubrique Expo.
Il est possible de visiter l'atelier de l'artiste mais uniquement sur rendez-vous.
Expositions personnelles :
2010 Exposition, Bonnieux France
2008 Exposition, Bruxelles Belgique
2006 Exposition, Sivergues, France
2007 Lidingö Konsthall i Stadshuset, Stockholm, Suède
2005 Galerie Passère, Forcalquier, France
2005 Maison de Brian, Simiane la Rotonde, France
2005 Maison d'Art Albin Ste Croix, Roussillon, France
1984 Exposition, Cologne, RFA
Expositions collectives :
2015 Musée de Biot, France
2009 Maison de Brian, Simiane la Rotonde, France
2007 « Lumière en la matière » Maison de la Céramique, Giroussens, France
2006 Kunsthuis Ingrith Desmet, Kortrijk, Belgique
2005 Regards croisés, Biennale du Grand Pressigny, France
2002 Galerie CAPAZZA, Nancay, France
1999 Galerie Ambre, Paris, France
1982 Sources et Courants, Musée des Arts Décoratifs, Paris, France
Nous remercions Rémy et Christiane Filliatreau pour le partage des photographies.
Texte © Christine Lavenu (publié le 18 juin 2021)
Sources :
Entretien avec Rémi et Christiane Filliatreau mai 2021
La revue de la céramique et du verre, n°145, 144, 133, 106, 089, 016, 002
Sources et courants, Musée des Arts Décoratifs, Paris, 1982