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Marc Alberghina (né en1959)


 Plasticien français.


Lors de sa première visite du musée du Trocadéro en 1907, concernant les arts primitifs, Picasso s’est exprimé ainsi : 

"J’ai compris qu’il m’arrivait quelque chose. Les masques, ils n’étaient pas des sculptures comme les autres. Pas du tout. Ils étaient des choses magiques. 
Tous les fétiches servaient à la même chose, c’étaient des armes pour aider les gens à ne plus être les sujets des esprits, à devenir indépendants."  
Indépendant, c’est un qualificatif qui colle si bien à la peau de Marc Alberghina. Le plasticien aime jouer avec les représentations du corps humain pour secouer l’esprit et capter le regard. L’artiste dénonce le mouvement d’uniformisation qui colonise les peuples et phagocyte la pensée. 

L'œil peut être ébloui ou choqué par l’étrangeté esthétique et thématique de ses pièces. Intrusives voire inquisitrices, ses sculptures mises en scène comme au théâtre plaisent, dérangent ou inquiètent.  

Et vous, détourneriez-vous la tête devant ses sculptures ? Vous cacheriez-vous la face ? 
Porter un masque est facile, mais le tomber est une autre affaire.

Le parcours de Marc Alberghina
Allégorie de la caverne.
Depuis l’âge de dix-sept ans, le jeune Marc tourne. Les mains dans la terre, il est tourneur pour les différents ateliers et manufactures de Vallauris. Il tourne des séries, années après années. L’homme tourne durant vingt-huit ans. Du point de vue alimentaire, il est confortablement satisfait : "ça tourne. C’est sécurisant, la facilité". 

Pourtant, dans cette spirale du tour, l’esprit asservi se fossilise.

A l’aube de la cinquantaine, sonne l’heure de la liberté. L’homme pense qu’il est temps de se risquer à sortir de la caverne pour aller voir le 'Monde d’en haut'.

C’est dans la rue, à la lumière, que Marc rompt le silence et choisit de s’exprimer au travers de la sculpture. La création est à ciel ouvert. 
marc alberghina
Retour aux sources. 
Un jour, la chaleur de la terre colorée, que Marc avait tant voulu oublier, lui revient aux tripes. L’enfant du pays bercé par les émaux des potiers veut renouer avec la terre, la terre de Vallauris. Celle, qui dans les années 80 était tombée en disgrâce, devient l'héroïne de ses pièces.
'La belle' qu'il aime maquiller d'or et de rose, émaux oubliés d'anciens ateliers fermés du village, remonte sur scène. A ce titre, l'artiste tente de redonner à la cité son blason doré et sa renommée, mettant sous le feu des projecteurs sa version de la 'Rose Pourpre de Vallauris*. 
Marc Alberghina

Survol de l'œuvre engagée de Marc Alberghina
marc alberghina
marc alberghina
 Le cannibalisme vallaurien.
Un des axes de recherche de Marc est dépeindre le cannibalisme vallaurien. Avec la sculpture Le festin (2010), qui présente un squelette grandeur nature dans un plat en or, il décrit la chute  de la céramique à Vallauris. Survenu dans les années 70 et 80, ce phénomène du 'retour à la terre' est la conséquence de la révolution de mai 68, quand "tout le monde s’est mis à faire de la céramique sans avoir de connaissance, en allant dans la facilité de l’argent. Il y a une perte d’identité, tout se ressemble, tout se meurt […].  C’est une société qui se mange, qui se perd ."

Avec humour que certains qualifieraient de noir macabre, Marc conte l'histoire, en quatre étapes, de ce haut lieu international de la céramique, quand  Vallauris a connu son apogée au temps des Massiers, son point culminant avec la venue de Picasso, sa décadence artistique avec la luxure folklore pour un tourisme de masse et sa disparition dans l’uniformisme coloré. 

La force du langage de Marc Alberghina est sans compassion. Sa langue colorée est celle qui dénonce, qui mange, qui lèche, qui suce (Canis Lingua, exposition 2014). 

Son verbe acide souvent toxique dénonce le poison environnemental, celui de l’esprit et les nuisances de l'intensification des élevages d'animaux (Toxique, exposition 2016). 
Sans langue de bois, "Séduire et Horrifier" (2013) est le parti pris du plasticien pour rendre hommage à sa ville. Mais, Etranger’ parmi les siens,  incompris voire condamné tel 'Meursault', l’art de Marc Alberghina dérange dans son pays, au point qu’une de ses œuvres a été détruite anonymement lors d’une exposition à la Biennale ! 
La peur de l’inconnu et le jugement mènent-ils toujours à la haine et la violence ? Derrière le rideau bleu azur, se mon(s)tre la face cachée du paysage humain : celle de l’hypocrisie et la bêtise humaine ? ...  

En réaction à l'acte de destruction, Marc répond avec une ironie volontairement provocatrice. Avec la sculpture "Usine" (2013), il évoque la mort du savoir-faire local, l’aliénation du travail à la chaine et l’absurdité du monde mécanisé moderne, qui amène en pente douce à la perte d’identité.

La quête d'identité est-elle une réponse pour  'L'homme révolté' de Vallauris  ?  
marc alberghina
En quête d'identité.
L’identité est à reconstruire.  

Pour Marc, la reconstruction passe par l’abnégation de soi. Avec la trilogie des "Saint Sébastien" en 2013, il positionne l’artiste tel un martyr, immaculé en blanc, sans bras, ou décapité, ou avec le visage zippé sous un capuchon. Les allumettes remplacent les flèches. Le corps est offert en pâture à ceux que le jugement asservit. Cette fausse soumission ne relève pas d'un comportement suicidaire, au contraire, elle incarne un acte de révolte.
'L'homme du Saint Sébastien' de Marc se dissimule sous une armure de vêtements. Mais l'habit n'a jamais fait le moine. Et un jour ou l'autre, il faudra tomber la veste et le masque pour mettre à nu l'âme. 

La quête d'identité, d'une nouvelle peau, s'annonce dans les prémices de l"Auto-combustion" spontanée du corps humain (2015), sorte de passage chrysalidique par le feu pour ‘renaitre de ses cendres’.   

Avec l’exposition "En attendant la fin du Monde" (2019), Marc met en scène un individu solitaire et phagocyté par la peur du monde en déconstruction. Qui suis-je ? Où vais-je ? Que fais-je ? Autant de questions relatives sur l’identité et le rôle humain dans un monde bercé de crises sanitaires, territoriales, climatiques, écologiques, et quoi d'autre? Juste un monde en crise. 

"La Mère" saurait-elle répondre aux questions existentielles ? 
Marc Alberghina
Le sacré empoisonné
Sculpture énigmatique, "La Mère" (2017) est un millefeuille de références et de symboles. 

Au visage d'un utérus géant, la Mère est vêtue d’une robe violette teintée de funeste. Marc choisit délibérément le langage de la couleur pour exprimer l'ambivalence de la vie. Au rose d'une chair féconde, il  substitue le violet toxique. Si imposante en taille, dressée telle une statut divine sur le socle d'une bassine de déchets et d'offrandes, la matrice incarne-t-elle une déesse malade, une sorte de Héra agonisante ? Avec des trompes en forme de long cou et de tête de cygne portant un œuf, l'image renvoie au mythe de 'Léda et le Cygne' : Zeus s'était déguisé en cygne pour séduire Léda; découvrant l'infidélité de son mari volage, Héra, jalouse, place deux gros œufs dans le corps de Léda.
Amenée par le désir charnel, la trahison incarnée dans la Mère est à double tranchant. C'est l'histoire du Vallauris céramique qui pervertie par l'argent facile s'est travestie au risque de se trahir et d'y perdre son identité. C'est aussi l'histoire de Marc, dont une œuvre a été saccagée  par un de ses paires. 
Marc Alberghina dépeint une Mère menacée par un poison violet, qui asphyxie le sang et qui se propage dans le corps et l'esprit comme 'La Peste'
La vie est en danger. L'art est en danger. 

"Les Sucreries Douces" seraient-elles un des antidotes au 'mal' ?
marc alberghina
Le Graal sucré
"Les Sucreries Douces" (2019) sont à consommer sans modération ! Miam ! Ce terme aux résonnances de bonbons acidulés ferait rêver une panse aux appétences orgasmiques. La gourmandise, ce doux vice associé à la jouissance pour certains est un péché capital pour d'autres. Ces confiseries juteuses au gout de pêche recèlent d'intrigues  charnelles. 

Sous le couvercle du mystère de la vie, Marc pénètre dans ‘L’Origine du Monde’ pour dévoiler l’organe du plaisir. Un organe qui chantonne sur les airs de ‘la vie en rose’, parfaitement épilée, sans aucun poil incarné !

Autre regard sur les Sucreries avec trois bouquets de fleurs (2022),  à têtes de  'grenouilles-spermatozoïdes'. Habillées de roses, les mignonnes évoquent l’empreinte d’un bourgeon à l’arôme féminin. Issus des trompes de la Mère, les joyeuses seraient-elles,  sous leur jarretière, marquées au fer rose du X chromosomique ? 

Au delà de la magie créatrice de Dame Nature, la sélection volontaire du gène X,  remettrait-elle en cause la domination sociale, politique et religieuse de l’homme ? 
marc alberghina
marc alberghina

La voix de la passion
Avec une démarche proche du scientifique qui remet tout en cause, le regard de Marc Alberghina est un gage d’espoir dans le positionnement de l’art contemporain. 

La dimension presque chamanique de l’œuvre n’interroge plus sur la place de l’artiste en tant que témoin et gardien de la mémoire de la société consumatrice du XXIe siècle. En dénonçant l’anthropocentrisme dans le mouvement d’uniformisation du monde, la toxicité de l’homme pour lui-même et son environnement, elle interroge aujourd’hui le consommateur, qu’il soit simple vallaurien, visiteur, galeriste ou critique d’art, sur sa capacité à réagir et à se dévoiler.

Mais au fait, vous, qui êtes-vous ? Portez-vous le masque de l’autruche, du mouton ou celui du loup ? …

Chronos, première exposition personnelle à la Piscine, Roubaix.
La Piscine, musée d'art et d'industrie d'André Diligent, à Roubaix a présenté en 2023, Chronos, la première exposition personnelle de Marc Alberghina.


Texte  © Christine Lavenu  (c 10/12/2022, maj 08/03/2022)
Sources :
Picasso Primitif, reportage de Valério Truffa
* La rose pourpre du Caire, film de Woody Allen
* Le mythe de la Caverne, Platon
* L'étranger, Le mythe de Sisyphe, L'homme révolté, La peste, Albert Camus.
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